Coronavirus : l’exception japonaise ?

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Publié le 18 novembre 2020

En quelques mois, la pandémie de coronavirus a plongé le monde dans une situation de paralysie dont la durée est difficilement appréhendable. Le Japon, pris entre le report des JO et la rentrée scolaire, semble avoir maîtrisé l’épidémie dès les premières semaines, enrayant de fait son développement exponentiel. Il reste néanmoins des difficultés principalement dues à une réduction des investissements publics dans les hôpitaux contraints de réduire leur accueil.

Cet article est paru initialement sur le blog de Cécile Asanuma-Brice : JAPOSPHÈRE - Chronique de l'urbanité japonaise -. Il est repris dans notre dossier avec son accord.

Co-auteurs: Cécile Asanuma-Brice (chercheur CNRS-CRJ,EHESS/University of Japan) et Tristan Guillot (Directeur de recherche CNRS-Université Côte d’Azur / University of Tôkyô)


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Cartes réalisées par l'ESRI -

https://jagjapan.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/641eba7fef234a47880e1e1dc4de85ce

 

Au loin, une sirène retentit. Dans un pays où la population vieillissante est composée à 28% de personnes ayant plus de 65 ans, les ambulances tournoient quotidiennement. Mais en cette période de confinement, elles génèrent une tension latente absente d’ordinaire. Car ça y est. Le Japon, en proie au SARS-CoV-2, a franchi, lui aussi, le pas vers un confinement souple, plus conseillé qu’imposé, mis en place en deux temps, d’abord pour les sept préfectures les plus touchées depuis le 11 avril (Tôkyô, Kanagawa, Saitama, Chiba, Ôsaka, Hongo et Fukuoka), puis, devant la multiplication des cas, en généralisant ces mesures à l’ensemble du Japon le 17 avril. C’est dans un contexte politique très tendu que le Japon doit administrer cette nouvelle crise, à l’origine d’un report et peut être d’une annulation des Jeux Olympiques dont les préparatifs avaient été organisés à grands frais et non sans contestation, la décision de leur accueil ayant été prise deux ans seulement après le triple désastre (tremblement de terre, tsunami, explosion de la centrale nucléaire dai-ichi à Fukushima) qui avait dévasté le Nord-Est du Japon en 2011. Si elle devait se produire, cette annulation représenterait la seconde pour le Japon, la première ayant été motivée par le début de la seconde guerre mondiale. Mais pour l’heure, la guerre est déclenchée au virus, selon les termes du président français, repris par les dirigeants Japonais. Quelle est la situation au Japon et comment le gouvernement fait-il face à la crise ? D’une crise sanitaire à l’autre, le Japon a-t-il tiré les leçons de la communication sur les effets sanitaires développée après Fukushima ? Le système social en place permet-il de pallier à la vulnérabilité de certaines couches de la population ? Quelle est l’ampleur de l’épidémie au Japon comparativement à la situation française ? Autant de questions qui s’imposent afin d’évaluer les diverses mesures mises en place, et de permettre l’élaboration de nouvelles stratégies dans la gestion des désastres sanitaires, au-delà d’une réflexion qui s’impose quant à une refonte de notre système économique et à celui de nos modes de vie.

Les mesures prises durant le début de l’épidémie et le report des JO

Depuis le début de l’année, les informations d’abord jugées douteuses en provenance de son voisin chinois sur la potentialité d’une pandémie de covid 19, se sont confirmées. La globalisation des échanges commerciaux, celle du tourisme de masse, ainsi que celle des voyageurs auront eu raison des discours les plus rassurants quant à une maîtrise possible de la pandémie. Chargé d’accueillir les Jeux Olympiques en 2020, le gouvernement japonais n’ayant déclaré que 9 personnes contaminées au 30 janvier 2020, a d’abord été soupçonné de dissimuler le nombre de cas sur son territoire afin de ne pas entraver une organisation qui s’était avérée fort coûteuse, leur coût total étant évalué à 11,5 milliards d’euros[1]. Ces JO revêtent en effet une importance toute particulière dans le cas présent, puisque l’un de leurs objectifs était de médiatiser la réouverture de la zone d’évacuation autour de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi, notamment via la localisation du relai de la flamme olympique dans des tronçons de la zone d’évacuation rouverts pour l’occasion[2].

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Carte de l’évolution spatiale de l’épidémie du COVID 19 au Japon au 30 janvier 2020.

 

A la mi-février, alors que le gouvernement japonais luttait contre une annulation probable des JO, les voix d’opposition pour une meilleure gestion d’une possible épidémie dans le pays se firent entendre. Dans un communiqué publique, le Premier Ministre japonais Shinzo Abe, annonce alors quelques restrictions, essentiellement fondées sur la responsabilité civile, en demandant de multiplier le télétravail tant que faire se peut, le report des évènements prévus dans les prochaines semaines, l’évitement des attroupements, la ventilation des espaces confinés, l’annulation des évènements sportifs, et la fermeture des écoles quinze jours avant les vacances saisonnières, la rentrée scolaire au Japon s’effectuant en avril. A un niveau individuel, le savonnement des mains et les lavements de bouche. Dans son allocution, le Premier Ministre spécifie néanmoins le maintien des Jeux Olympiques, et notamment le départ du relai de la flamme Olympique à Fukushima qui devait se dérouler le 16 mars.

 

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Carte de l’évolution spatiale de l’épidémie du COVID 19 au Japon au 28 février 2020

 

Quelques jours avant le départ du relai, le gouvernement doit néanmoins faire face au refus des coureurs de participer à la course, estimant être doublement mis en danger, par l’exposition aux radiations encore élevées dans la zone, et à celle au coronavirus, l’événement attirant de nombreux spectateurs. Le gouvernement propose alors que le relai soit remplacé par le transport en bus de la flamme olympique renfermée dans une lanterne de cuivre, au moment où les organisations d’athlétismes canadiennes et américaines, en pleine pandémie, demandent le report des JO, finalement décidé par le comité d’organisation international.

 

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Carte de l’évolution spatiale de l’épidémie du COVID 19 au Japon au 16 mars 2020

 

Quand minimaliser les risques ne fait que les augmenter

Hormis Hokkaidô, dont le gouverneur a déclaré l’état d’urgence dès le 28 février, en demandant à ses habitants le port du masque et un confinement stricte, le Japon, en dépit de la mise en place d’un comité consultatif d’experts dirigé par Omi SHIGERU et suivant une logique épidémiologique très critiquée durant la gestion de l’accident nucléaire de Fukushima, se refuse à effectuer une campagne massive de dépistages argumentant le possible déclenchement d’une vague d’inquiétude démesurée de la population. Pire encore, le 20 mars, la décision de rouvrir les écoles et facultés à la rentrée scolaire début avril est annoncée simultanément à une montée en tension générée par l’apparition de nouveaux clusters qui touchent les principales zones urbaines de Tôkyô, Nagoya, Ôsaka et Kyôto.

 

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Carte de Carte de l’évolution spatiale de l’épidémie du COVID 19 au Japon au 30 mars 2020

 

Néanmoins, les échanges de voyageurs en provenance des pays les plus touchés sont limités et des premières mesures fiscales sont annoncées afin de faciliter le confinement. Parmi elles, la possibilité de reporter le paiement des taxes, charges et autres impôts et la mise en place d’un prêt d’urgence. En 2 mois, depuis son premier cas mi janvier, le Japon décompte 1200 cas testés positifs sur son territoire (les dépistages n’étant pas systématiques, ces chiffres ne sont donc qu’indicatifs), dont seulement 5% sont estimés être graves. Si la multiplication du nombre de contamination est rapide, le pays réussi à maintenir une certaine stabilité en raison de plusieurs facteurs. Le premier est une distanciation physique culturellement acquise, puisqu’on ne se touche pas physiquement ni pour se saluer, ni pour exprimer ses marques d’affection. Le second est le fait que la plupart des foyers possèdent des masques en raison de forts rhumes des foins générés par le pollen de certaines essences végétales importées contre lesquelles les japonais n’ont pas d’immunité. Cette « coutume » du port du masque est bien antérieure à la crise du sras et autres grippes influenzas. Les japonais les portent également en cas de rhume afin de ne pas contaminer leurs congénères. En outre, bien que les masques chirurgicaux soient de fabrication nationale, la plupart des distributeurs du Japon, dès le début de l’épidémie, se sont trouvés en rupture de stock. La population en détenait néanmoins suffisamment pour ne pas être affectée par cette pénurie, celle-ci étant comblée par la fabrication artisanale de masques courante dans le pays. Le troisième est le niveau d’hygiène. Ainsi, de l’alcool pour se désinfecter les mains est proposé à l’entrée de la plupart des magasins, les aliments sont emballés (ce qui génère par ailleurs une consommation de plastique extrêmement élevée), tandis que des employés, protégés de masque, de gants et d’écrans de plastique transparent se consacrent à la désinfection des paniers et charriots dans les surfaces alimentaires.

Le gouvernement comptait donc essentiellement sur la conscience civile, entrainée par les nombreux désastres naturels (tremblements de terre, typhons, inondations) et industriels (maladie de minamata engendrée par la pollution au mercure dans le nord de Kyushu, catastrophe nucléaire de Fukushima) pour faire face au péril. Fort de cette assurance, le Premier Ministre Abe tout en annonçant un plan de soutien économique s’affiche, lors d’une conférence de presse, affublé d’un masque en coton et promet que deux masques en coton seront distribués par foyer dès la mi-avril, générant les sarcasmes de nombreux citoyens. Abenomics[3]était devenu Abenomask (les masques d’Abe)[4], la majorité de la population estimant que les mesures prises restaient insuffisantes face à l’accroissement rapide du nombre de cas et à la détérioration inquiétante de la situation dans les pays occidentaux.

 

Quelles sont les mesures prises depuis le 11 avril ?

Les 7 et 11 avril, de nouvelles mesures sont annoncées par le gouvernement et par la maire de Tôkyô, Yuriko KOIKE, la mégalopole étant la plus touchée par la maladie qui s’avère être une maladie urbaine, en raison de la densité de population qui facilite la transmission d’un individu à l’autre et de la pollution aérienne qui augmenterait le taux de mortalité par le virus selon une récente étude menée par Harvard T.H. Chan School of Public Health[5]. L’air, dans les villes japonaises, étant de bonne qualité en raison d’une circulation automobile réduite, de la quasi suppression du diesel limité aux véhicules de transport, et d’une ventilation suffisante assurée par leur localisation côtière, les risques de contamination sont plus à craindre dans les lieux où la promiscuité est importante, présents en grand nombre dans les villes : transports en commun, Izakaya (bars populaires), pachinko et autres karaoke.

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Carte de l’évolution spatiale de l’épidémie du COVID 19 au Japon au 11 avril 2020

 

Ces mesures sont les suivantes :

Une modification de la loi a été faite afin d’imposer :

- l’arrêt provisoire d’activité pour toutes les structures scolaires dont la superficie dépasse les 1000 m2

- la fermeture temporaire de tous les commerces autres que ceux fournissant les denrées nécessaires au quotidien et dont la surface est supérieure à 1000m2

- la fermeture temporaire de l’ensemble des centres d’exposition, bibliothèques, salles de concert et autres musées dont la surface est supérieure à 1000m2

- la fermeture des établissements sportifs, ainsi que des salles de loisirs (pachinko, Majong et autres Game center) ou autres lieux de divertissements (cabarets, karaoke, internet-café, night club, etc.)

Une requête de coopération est par ailleurs faite, sans contrainte légale :

- les établissements éducatifs (petites universités, auto-école, etc.) de moins de 1000m2 peuvent continuer leur activité en prenant les mesures de précaution pour se protéger.

- Les centres d’exposition, bibliothèques et autres salles de concert en deçà de 1000m2sont priés de fermeture temporaire

- Les commerces hors vente de produits nécessaires au quotidien sont priés de fermer sauf ceux dont la surface est inférieure à 100 m2qui peuvent continuer leur activité en respectant les mesures de précaution.

Il est également demandé aux cultes, services de garde d’enfants et autres services sociaux d’arrêter ou de limiter leurs services en respectant les règles de protection.

Les hôpitaux, vétérinaires, hôtels, transports, services funéraires, média, bains publics, supermarchés et autres kombinis(supérettes) devront, quant à eux, assurer les mesures de précaution afin de continuer leur activité. Cette règle est également appliquée aux bars et restaurants dont les horaires d’activité sont néanmoins réduits. Ainsi, leur activité est permise de 5 h du matin à 20h.

Le télétravail est recommandé pour les autres activités.

Si les tests sont limités, une application-test est envoyée sur l’ensemble des téléphones portables via Line, un service de messagerie très populaire au Japon afin de distribuer un questionnaire permettant d’appréhender le nombre de personnes présentant les symptômes de la maladie.

Les mesures annoncées pour la capitale seront finalement appliquées sur l’ensemble du pays, devant une accélération du nombre de personnes contaminées, une semaine après leur annonce.

 

Ici comme ailleurs, héroïser les plus vulnérables ne leur permet pas de faire face

Mais très vite, les voix se lèvent. La cessation d’activité est insoutenable pour une grande partie de la population. Des manifestations, respectant les distances sécuritaires, sont organisées à Tôkyô, avec pour mot d’ordre : « sans argent, pas de confinement ! ».

 

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Manifestations devant la gare de Shibuya les 12 et 26 avril 2020 à l’appel de l’association Kanekaese300000.

 

Après des discussions tendues au parlement, le gouvernement décide finalement, le 20 avril, la distribution de 100 000 jpy/personne (850 euros) qui seront versés au chef de famille, afin de combler les pertes dues au confinement.

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Carte de l’épidémie du COVID 19 au Japon 20 avril 2020

Par ailleurs, la fermeture des internet-cafés où dormaient les personnes sans foyer, communément désignées sous le terme de « réfugiés des cyber cafés » (netto kafe nanmin) , une population estimée par les associations de suivi social à 4000 personnes pour la seule ville de Tôkyô et à 500 par le gouvernement, se retrouve à la rue. La maire de Tôkyô a proposé, pour solutionner le problème, le réquisitionnement d’hôtels ou d’équipements d’accueils afin de permettre leur hébergement, mais également de maîtriser les cas de contagion éventuels. Néanmoins, les associations s’occupant du suivi des personnes sans domicile fixe tirent la sonnette d’alarme. Le dirigeant de Tôkyô Umbrella kikin partage sur les réseaux sociaux les secours quotidiens promulgués à ces nouveaux homeless qui viennent de perdre leur travail suite aux fermetures contraintes des magasins qui les employaient[6].

 

La politique de confinement est dramatique, et c’est pour éviter d’avoir à l’imposer que le gouvernement avait tenté de maîtriser l’épidémie, notamment en permettant au département la réquisition d’hôtels afin d’isoler les personnes positives asymptômatiques ou présentant des symptômes légers. Cette mesure a été adoptée sur l’ensemble du territoire. La liste de ces hôtels fait l’objet d’une publication régulière dans la presse, comme c’est le cas pour la préfecture spéciale de Kyôto dont le répertoire des hôtels mobilisés à cet effet a été publié le 21 avril 2020 dans le journal Asahi, l’un des quotidiens nationaux les plus lus du Japon[7].

 

Malgré l’ensemble des mesures promulguées par les institutions aux diverses échelles d’intervention (aux niveaux national, départemental et local), les hôpitaux commencent à être engorgés dès la mi-avril[8] et les patients se voient refuser leur demande d’hospitalisation. Pire encore, les opérations de patients atteints du cancer sont annulées une à une, en raison du manque de personnel, en sous-effectif, en partie victime de la maladie. Shintsuke TENNÔ, représentant de l’association des malades du cancer témoigne, dans un reportage de la NHK du 20 avril[9], d’un problème récurrent dans la plupart des pays qui ont fait le choix de réduire leur soutien aux hôpitaux publics. Ainsi, le Japon a opté pour une réduction importante du nombre de lits d’hôpitaux depuis plusieurs années. En 1998, le nombre de lits réservés en cas d’épidémie était de 9060 lits, contre 1869 aujourd’hui. Si le nombre de lits total reste assez important en raison de la présence de dispensaires nombreux dans le pays, ainsi que du grand nombre de lits en psychiatrie, soit 7.79 lits pour 1000 personnes contre 3.09 lits pour 1000 personnes en France[10], des études sur le sujet (voir : Intensive Care Medicine journal , National Center for Biotechnology Information , ou encore more recent analysis publiées dans Critical Care Medicine Journal comparent le nombre de lits en réanimation dans les pays d’Asie) montrent que le nombre de lits en réanimation pouvant être mobilisés en cas d’épidémie est drastiquement plus faible, puisqu’il est de 7,3 lits pour 100 000 personnes au Japon contre 11,6 lits pour 100 000 personnes en France.

 

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Graphique réalisé par Niall McCarthy, le 12 mars 2020

 

Depuis octobre dernier une accélération notable de ce processus avait été activée, visant à la suppression de 130 000 lits d’hôpitaux en 5 ans décidée par le ministère des finances[11]. Ici aussi, les discussions quant au maintien des investissements publics dans le secteur médical sont remises sur le devant de la scène.

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Carte de l’évolution spatiale de l’épidémie du COVID 19 au Japon 27 avril 2020.

 

Si certains choix politiques sont semblables, les cas français et japonais sont néanmoins bien distincts

Le 23 avril 2020, à l’heure où la France déplore 119 151 cas de malades confirmés et 21240 décès pour une population moitié moindre, le Japon (126 millions d’habitants) ne compte que 12061 personnes testées positives et 300 décès attribués au covid19. Si l’on se concentre sur la tendance globale, depuis janvier, l’épidémie de covid19 au Japon s’est propagée à un rythme régulier, avec un nombre de cas détectés qui a été multiplié par 10 tous les mois. Etant donné le temps d’incubation du SARS-CoV-2, environ 5 jours[12], ceci correspond à un taux de reproduction (le nombre moyen de transmissions par malade) moyen de l’ordre de 1,5.

En comparaison, le cas de la France est très différent avec un nombre de cas détectés qui, entre la mi-janvier et la mi-mars quand le confinement a été déclaré, a été multiplié par 10000! Le taux de reproduction peut être évalué à 2,15. Cela semble assez proche du cas Japonais, mais, dans les faits, les conséquences de cette différence sont dramatiques - c’est le principe d’une exponentielle - avec un nombre de morts près de 100 fois plus importants en France qu’au Japon.

Évolution de l’épidémie de covid19 au Japon et en France (d’après les données de l’European Centre for Disease Prevention and Control). Au 23 avril 2020, la base de données faisait état de 11 772 cas détectés et de 287 décès au Japon, et de 119 151 cas détéctés et de 21340 décès en France.

 

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Evolution de l’épidémie de covid19 au Japon (d’après les données de l’European Center for disease, Prevention and Control, au 23 avril 2020.

D’autre part, malgré un nombre de tests qui peut paraître faible au regard d’autres pays, le rapport entre le nombre de cas détectés et le nombre de décès est de 42 au Japon. Il est de 5,6 en France. En comparaison, il est de 45 en Corée du Sud, vantée pour avoir su juguler l’épidémie grâce à des tests massifs. Il semble donc que le Japon retrouve une grande partie des cas de COVID-19, même si l’apparition de cas non traçables de plus en plus nombreux montre qu’il s’agit d’un problème complexe qui n’est pas maitrisé pour l’instant. De son côté, la France, qui n’a pas vu arriver l’épidémie et s’est retrouvée submergée, ne teste qu’environ 10% des cas: ceux qui sont dans un état critique et doivent aller à l’hôpital.

Une tendance positive se dessine cependant : la courbe du nombre de cas/jour (histogramme bleu) descend côté français où le taux de reproduction R est donc clairement passé en dessous de 1. Cela semble aussi être le cas au Japon, grâce à la déclaration d’état d’urgence, même s’il est encore trop tôt pour être sûr que ce soit une tendance robuste. Il faut s’attendre néanmoins au Japon à une augmentation du nombre de décés par jour lié à l’augmentation des cas les jours et semaines précédentes.

Ainsi, en comparaison de la France, le Japon a été relativement épargné par l’épidémie de covid19. Il a certainement bénéficié d’habitudes de sa population, une distanciation physique culturelle, le port fréquent du masque et une hygiène très présente, pour limiter la progression de l’épidémie. Le Japon n’a cependant pas pu éviter de déclarer l’état d’urgence, montrant que l’épidémie ne peut être jugulée que par des mesures fortes. Les semaines qui viennent vont être décisives pour ces deux pays qui doivent confirmer la décroissance de l’épidémie, pour la France organiser le déconfinement et pour le Japon faire repartir progressivement son économie. Plus généralement, si l’on peut déplorer l’impréparation de scénarii pourtant connus et analysés depuis plus de trente ans (voir à ce sujet les travaux de l’anthropologue Frédérick Keck[13]), cet épisode aura néanmoins montré, certes non sans coût, que l’impossible devenait possible, au moins pour un moment, lorsque volontés étatiques et citoyennes se conjuguaient. Peut-être est-il temps d’appréhender ce désastre comme une opportunité de réfléchir à la mondialisation des échanges tant de voyageurs que des marchandises pour la limiter au nécessaire aussi en vue d’une réduction de notre empreinte carbone, mais également d’évaluer le coût de la délocalisation des industries nationalement vitales. A un niveau local, cette occasion faitémerger la nécessité d’une réflexion sur l’orientation des investissements publics, tant dans le secteur hospitalier, que dans les structures d’accueil et d’habitat à destination des plus démunis, les épisodes épidémiques étant l’un des critères fondamentaux à l’origine de l’élaboration d’institutions publiques de logements permettant de « loger le peuple » afin de prémunir la sécurité (entre autres) sanitaire de chacun[14].

 [1]Selon une estimation publiée par la NHK le 20 mars 2020, dans l’article « 東京五輪・パラ延期国の予算への影響は »https://www3.nhk.or.jp/news/html/20200325/k10012349521000.html

[2]Voir à ce sujet, C. Asanuma-Brice (2020) : « Fukushima, les JO et le coronavirus », Libération, mars.

[3]Nom donné au plan de réforme économique proposé par le premier Ministre Abe au moment de son élection.

[4]« les masques d’Abe »

[5]Xiao Wu MS, R. C. Nethery, M. Benjamin Sabath MA, D. Braun, F. Dominici (2020) : COVID-19 PM2.5, A national study on long-term exposure to air pollution and COVID-19 mortality in the United-States, Harvard University.

Voir aussi : R. Florida (2020) : The geography of coronavirus, April 3, inCity Lab.

[6]https://umbrellafund.tokyo

[7]https://www.asahi.com/articles/ASN4N724TN4JPLZB007...

[8]https://www3.nhk.or.jp/news/html/20200420/k10012396881000.html?fbclid=IwAR17dIhlcaRhjbWuxhkc1TKSKmkX3aE-xh__xktJ1narCUTdPmDkl5k3Vto

[9]https://www3.nhk.or.jp/news/html/20200420/k10012397481000.html?fbclid=IwAR3GKCWxbcIz0TJYx9d5GdH-cZ7GEvBFB8kxWlJTo7ebO9WGIijyaSh3ZG4

[10]selon les données de l’OCDE

[11] https://jp.reuters.com/article/japan-coronavirus-h...

[12] https://annals.org/aim/fullarticle/2762808/incubat...

[13]F. Keck (2020) : Les Sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine. Ed. Zones Sentinelles.

[14]C. Asanuma-Brice (2019) : Un siècle de banlieues japonaises. Au paroxysme de la société de consommation. Ed. Métispresses.

Références bibliographiques:

C. Asanuma-Brice, 2020: « Fukushima, les JO et le coronavirus », Libération, mars.

C. Asanuma-Brice, 2019 : Un siècle de banlieues japonaises. Au paroxysme de la société de consommation. Ed. Métispresses.

Chan J.F.K, K . Y. Yuen et al. 2020 “A familial cluster of pneumonia associated with the 2019 novel coronavirus indicating person-to-person transmission: a study of a family cluster”, Lancet 395, 1223, pp. 514-523.

R. Florida, 2020 : The geography of coronavirus, April 3, inCity Lab.

F. Keck (2020) : Les Sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine. Ed. Zones Sentinelles.

Stephen A. Lauer, MS, PhD *; Kyra H. Grantz, BA *; Qifang Bi, MHS; Forrest K. Jones, MPH; Qulu Zheng, MHS; Hannah R. Meredith, PhD; Andrew S. Azman, PhD; Nicholas G. Reich, PhD; Justin Lessler, PhD, 2020 :The Incubation Period of Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) From Publicly Reported Confirmed Cases: Estimation and Application, Annals of Internal Medicine

https://annals.org/aim/fullarticle/2762808/incubation-period-coronavirus-disease-2019-covid-19-from-publicly-reported?searchresult=1

Peckham, R. (2016) Epidemics in Modern Asia. Cambridge: Cambridge University Press.Xiao Wu MS, R. C. Nethery, M. Benjamin Sabath MA, D. Braun, F. Dominici, 2020 : COVID-19 PM2.5, A national study on long-term exposure to air pollution and COVID-19 mortality in the United-States, Harvard University.

権敬淑、高嶋将之、吉村駿, 2020 : 京都)コロナ軽症者にホテルが部屋提供, 朝日新聞

https://www.asahi.com/articles/ASN4N724TN4JPLZB007.html

NHK le 20 mars 2020, dans l’article « 東京五輪・パラ延期国の予算への影響は »

https://www3.nhk.or.jp/news/html/20200325/k10012349521000.html

 

NHK, 2020 : 感染疑い患者複数の病院が「受け入れ困難」今月1300件余

https://www3.nhk.or.jp/news/html/20200420/k10012396881000.html?fbclid=IwAR17dIhlcaRhjbWuxhkc1TKSKmkX3aE-xh__xktJ1narCUTdPmDkl5k3Vto

NHK, 2020 : 感染拡大で「手術が受けられない」がん患者から不安の声

https://www3.nhk.or.jp/news/html/20200420/k10012397481000.html?fbclid=IwAR3GKCWxbcIz0TJYx9d5GdH-cZ7GEvBFB8kxWlJTo7ebO9WGIijyaSh3ZG4

中川泉宮崎亜巳, 2020 : 焦点:コロナ患者急増、病床削減計画見直しの可能性 政策の矛盾露わに

https://jp.reuters.com/article/japan-coronavirus-hospital-idJPKCN21Y0FZ

OCDE

WHO (2020) Report of the WHO-China Joint Mission on Covid-19. https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/who-china-joint-mission-on-covid-19-final-report.pdf